De la sueur et des larmes. Intense bonheur que cette victoire sur soi-même, dont ce misérable faux-plat en caillasses pelées n'est que le support (en fait, cette montagne est absolument superbe, mais ça m'a vraiment aidé sur la fin, de l'insulter avec rage). 4h30 environ pour moi [edit: 4h21 d'après mon GPS], j'ai fini par y arriver en me donnant des objectifs intermédiaires, de plus en plus courts. Curieux comme on arrive à tromper sa douleur par ce simple artifice... Sommet - 21km : C'est parti. Je laisse les furieux et les extra-terrestres partir devant, pas question de me cramer. Je pars à un rythme "ballade"... Sommet - 19km , approche dans la "plaine": Ah tiens? C'est déjà dur et pourtant, ca ne grimpe pas encore vraiment... Pfiou, ça va pas être facile, mais bon, dans la forêt il fera moins chaud. Sommet - 15km, dans la forêt : Aaargh. Je n'avais pas prévu de m'arrêter mais là j'ai poussé un peu trop vite, faut que je reprenne mon souffle. Bon allez 2-3 minutes, pas plus. Puis c'est vrai que c'est ici que ça monte le plus raide. Sommet - 10km; dans la forêt(2) : Ah mais non, mais non, si je m'arrête tout le temps, je vais pas y arriver. Bon, pas longtemps alors. De toutes façons, je vais jusqu'au Chalet Reynard. Y'a pas moyen de m'arrêter avant, ça ne voudrait rien dire du tout. Puis le Chalet, y'a pas de question, je sais que je peux y arriver. Bon, comment je vais tourner mes phrases, ensuite, pour dire que c'est déjà une victoire, d'avoir atteint le chalet? Pfff, on verra bien. De toutes façons, j'ai pas absolument décidé de m'y arrêter, mais bon, si je termine là, je ne m'en voudrai pas, c'est juste que cette ascension, c'est au dessus de mon niveau, j'aurai eu le mérite d'essayer. Sommet - 6km; Chalet Reynard : ah, ça fait du bien, ce petit replat. Bon là, tout va plutôt bien. Y'a personne ici? Finalement c'est une chance, je ne vais pas faire une vraie pause, je risquerais de ne pas repartir. Tiens, la montée qui repart vers le sommet et qui m'avait paru terrible lors de la reconnaissance en voiture hier, ben, elle ne semble pas infranchissable. Ca vaut le coup d'essayer, non ? 6km, ne pas penser que c'est encore presque 1/3 de ce que je viens de souffrir. 6km, en temps ordinaire, c'est pas beaucoup. Là, c'est peut-être faisable. Allez, on y va, on verra bien. Sommet - 4km : Ca fait mal. Y'a des parapentes qui volent au sommet, doit pas y avoir trop de vent, c'est une bonne nouvelle. Sommet - 3km : Je peux plus, j'ai les muscles des cuisses tétanisés. Allez, jusqu'au prochain virage. Sommet - 2km : Ca passe pas. Le sommet n'a pas l'air de se rapprocher, mais je m'attendais à cette illusion. Je prends comme repères les flêches vertes de la bande cyclable. Chaque flêche verte franchie, c'est quelques dizaines de mètres de gagnés. Je croise les premiers qui descendent déjà. Ca fait du bien de les encourager. Quant à moi, arrivé où j'en suis, je ne peux plus renoncer, il FAUT que j'aille en haut, je sais que j'y irai. Sommet - 1km500 : C'est trop dur. J'essaye de me donner pour objectif de franchir 3 flêches vertes avant de m'arrêter, mais en général je m'arrête à la deuxième et parfois à la première. Ma tête veut avancer, mes jambes s'arrêtent, parfois au bout de quelques dizaines de mètres. C'est déprimant de ne pas arriver à commander à ses muscles. Je me mets à l'écoute de mon coeur et de ma respiration, de ce côté-là, tout va bien, pas d'emballement. Pas de danger, donc, suffit de le vouloir. Pas plus de 10 secondes d'arrêt. Allez, on remet en route sans tarder. Sommet - 1km: De la sueur tombe dans mes yeux et déclenche des larmes. Je craque nerveusement, j'ai des espèces de hoquets et de sanglots, je contrôle mal. En même temps, cette réaction me fait rire. Parce que je suis à quelques centaines de mètres du sommet et que bon sang, je vais l'avoir et j'y serai arrivé. Sommet - 500m: C'est assez pitoyable, ma façon de monter. Je patine en canard, j'essaie quand même de faire rouler un peu les roues et de ne pas seulement marcher. Je grimpe 30 ou 40 mètres et je m'arrête. Je souffle, je pleure, je râle... Mais bon, je m'en fiche. Sans style et sans superbe, je suis en train de le monter ce fichu sommet. Sommet : Bonheur. Merci à tous: - Thibaut qui est le catalyseur de ce rendez-vous ; - l'équipe Rollers et Coquillages, diverse mais soudée, qui m'a fait passer un excellent week-end ; - les autres patineurs, tous venus pour se dépasser dans une excellente ambiance, en particulier Arnaud que j'ai suivi à quelque distance pendant les 2/3 de l'ascension ; - les accompagnateurs / ravitailleurs (en particulier Aude qui accompagnait Arnaud, et qui a eu la gentillesse de me prendre également sous sa protection - le ravitaillement c'est une chose, mais les petits mots échangés à chacun, c'est précieux pour le moral) ; - les petites filles anonymes dans la voiture suiveuse belge, qui accompagnaient leur papa à vélo, et qui m'avaient pris en affection : elles m'encourageaient à chaque fois qu'on se croisait, c'était vraiment rigolo ; dans le même esprit, le cycliste espagnol avec qui j'avais un peu blagué 1 ou 2 fois dans la montée, et qui m'attendait au sommet pour me serrer la main avec effusion ; - le mont Ventoux, parce qu'il est là. |